Le musée de l'Abbaye Sainte-Croix fête son demi-siècle : le reflet de la création contemporaine

Dédié à l'art moderne et contemporain, le musée de l'Abbaye Sainte-Croix, situé aux Sables d'Olonne s'est forgé au fil des années une réputation qui dépasse largement les frontières du département et même de l'Hexagone. Retour à grands traits sur les conservateurs qui, les uns après les autres, au travers de politiques d'expositions actives et audacieuses, ont contribué à sa renommée.

Les Sablais n'en ont peut-être pas tous conscience. Mais, "le musée de l'Abbaye Sainte-Croix est une surprise culturelle, une institution singulière pour qui, chaque été, fréquente les plages vendéennes", affirmait Benoît Decron, son conservateur de 1995 à 2009. Non seulement niché dans une station balnéaire, "le musée doit surtout sa réputation au fait de s'être attaché très tôt à défendre l'art moderne et contemporain", ajoute Gaëlle Rageot-Deshayes, à la tête du musée depuis 2009. Aujourd'hui, l'établissement sablais, qui fête son cinquantième anniversaire, fait partie de ces musées « petits mais costauds (...) dont les expositions temporaires à petit budget brillent par leur qualité", selon Le Journal des arts (n°350, 24 juin 2011). Son histoire est indissociable de celle de l'association des Amis du musée, créée en 1964, qui n'a eu de cesse de contribuer à l'enrichissement des collections et à leur diffusion.

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Philippe Decrauzat (né en 1974) : "Fight Disc", 2002 (installation mixte (peinture acrylique et plastique) ; Centre national des arts plastiques en dépôt au CAPC, Bordeaux)

C'est donc en 1963 que le musée des Sables d'Olonne, réclamé entre autres voix par l'historien et romancier Jean Huguet , voit le jour, et s'installe dans l'abbaye Sainte- Croix (lire par ailleurs). Pierre Chaigneau, son premier conservateur (1963- 1971), préhistorien et géographe, lui assigne trois missions : l'archéologie, l'ethnologie et les beaux-arts. La toute première exposition, organisée au cœur de l'été 1963, porte ainsi sur Les Sables-d'Olonne et la mer. "Mais le déclic vers l'art moderne et contemporain a lieu dès 1966 avec la rétrospective Jules Lefranc qui passait ses étés à la Chaume, puis avec d'autres artistes établis en Vendée comme Albert Deman (1967) ou Gaston Chaissac (1968) dont le musée acquiert la première œuvre en 1966, le totem Y a d'la joie ou Anatole", poursuit Gaëlle Rageot-Deshayes. En 1968, l'exposition sur l'art cinétique fait également date, apportant la preuve que le petit musée de province, bien qu'éloigné des microcosmes parisiens, est résolument en accord avec son époque.

 

Une salle dédiée à Chaissac au musée des Sables d'Olonne

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Henri-Claude Cousseau (1976-1982), le troisième conservateur, laissera lui aussi son empreinte en étoffant les collections d'art moderne et développant dans le même temps une politique active d'expositions dans lesquelles la part belle est faite aux artistes du groupe Supports-Surfaces (Claude Viallat, Bernard Pagès, Daniel Dezeuze). Après le bref passage d'Eric Moinet, Didier Semin, le cinquième conservateur (1983-1988), imprime le retour à la peinture en présentant l'un des mousquetaires de la Figuration libre, Robert Combas, tout en favorisant une ouverture vers d'autres medium. Les installations vidéo de Nam June Paik ou Alain Fleischer entrent alors dans les collections. Le 12 mars 1988, il inaugure la "salle des combles du XIIe siècle", tout en parquet et poutres enchevêtrées, en coque de bateau renversée, parfaite pour accueillir les Onomatomanies de Victor Brauner, deuxième figure tutélaire du musée.

Gaston Chaissac (1910-1964) : "Y a d'la joie ou Anatole", vers 1960 (totem, huile sur bois ; acquis en 1966)

Rôle de défricheur

Didier Ottinger (1988-1995) lui succède quelques mois plus tard. Le conservateur, qui affiche d'emblée sa préférence pour la peinture, monte plusieurs grandes expositions thématiques qui marqueront les esprits, à l'image des Pictographes : l'esthétique de l'icône au XXe siècle ou encore La chair promise. On se souvient également des expositions dédiées à Jean- Michel Sanejouand, Georg Baselitz, Philippe Hortala ou encore Philip Guston.

Benoît Decron (1995-2009), son successeur, n'aura de cesse au fil de ses quatorze années passées à l'abbaye Sainte-Croix, de poursuivre cette politique d'expositions soutenue. Ainsi, les expositions consacrées à Peter Saul, Gilles Barbier, Richard Fauguet, Marc Desgrandchamps, Blaise Drummond ou encore au collectif d'artistes Bazooka, feront parler d'elles bien au-delà du département.

Depuis 2009, Gaëlle Rageot-Deshayes œuvre dans la droite ligne de ses prédécesseurs avec le même souci de présenter des expositions qui font écho "à l'art en train de se faire", tout en s'inscrivant dans la tonalité des collections du musée. 

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Bojan Sarcevic (né en 1974) :"Untitled" 2008 (bois et verre, tôle froissée, fil, Plexiglas et mousse peinte ; Frac des Pays de la Loire)

"C'est la mission fondamentale des conservateurs, dit-elle. Lorsque l'on regarde les expositions (plus de deux cents) et les collections du musée*, on constate bien qu'elles sont le reflet de l'art de leur époque. Je souhaite affirmer le rôle de défricheur du musée, en continuant à présenter de tout jeunes artistes qui élargissent les pratiques contemporaines comme Delphine Gigoux-Martin, ou en faisant redécouvrir des figures importantes injustement oubliées, dernièrement Emanuel Proweller. Mais la programmation suit aussi les contours de la collection du musée et les complète, avec les expositions dédiées à Télémaque - Arroyo par exemple, artistes de la figuration narrative présents dans les collections, François Boisrond pour la figuration libre, ou encore Killoffer, artiste oeuvrant entre bande dessinée et dessin, autre direction privilégiée dans les acquisitions ; et Marlène Mocquet, jeune artiste renouvelant le regard sur la pratique de la peinture, technique de prédilection défendue dans les collections."

Les temps forts du cinquantième anniversaire

Du 13 octobre au 26 janvier

Chaissac - Dubuffet, entre plume et pinceau

Coproduite avec L'Adresse, musée de la Poste à Paris, en partenariat avec le Conseil Général de la Vendée, l'exposition Chaissac - Dubuffet, entre plume et pinceau est assurément l'un des temps forts de ce cinquantième anniversaire. Pour ne pas manquer les événements phares du musée comme les expositions temporaires ou les vernissages, consultez l'agenda des sorties des Sables d'Olonne.

Elle célèbre l'amitié artistique entre deux hommes qui "en apparence", avaient "peu en commun". 

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Gaston Chaissac (1910-1964) : "Sans titre" 1953 (porte de placard à quatre battants ; Don Mr Penaud et ses fils, 1983)

« Si les gouaches hautes en couleur de Gaston Chaissac révèlent un coloriste hors pair alors que les hautes pâtes texturées de Dubuffet excellent dans la trituration de la matière, il n'en est pas moins sûr que, là où les moyens diffèrent, l'esprit d'expérimentation incessante qui les anime est bien le même", estime Gaëlle Rageot-Deshayes. "Chaissac, qui se désignait comme un "peintre rustique moderne", et Jean Dubuffet, fervent défenseur de l'art brut auprès duquel il aimait se ressourcer, traquaient tous deux l'art au détour du chemin et le saisissaient bien vivant là où d'autres ne le voyaient pas. C'est à la découverte de cet art neuf, qu'ils pratiquèrent en virtuoses de la récupération et de la métamorphose de matériaux dérisoires et sans noblesse, qu'invite cette exposition en revenant sur la complicité artistique et littéraire de ces deux peintres et épistoliers de talent qui furent tout aussi novateurs dans le domaine de l'écriture que dans celui de la peinture." Leur correspondance abondante sera également réunie et présentée à cette occasion, "une mine pour relire leurs œuvres à l'aune de leurs passions et de leurs détestations, de leurs espoirs, de leurs succès et de leurs déconvenues."

 

Des bénédictines au musée d'art contemporain

L'abbaye Sainte-Croix a été édifiée pour les Bénédictines dans les années 1620, sur ce qui était alors un no man's land de marais et de jardins, à l'extérieur des anciens remparts de la cité. Dévolue à la Ville, après le départ des religieuses, elle fut utilisée comme hôpital militaire temporaire en 1793 pour les soldats de l'armée républicaine, puis comme école secondaire et petit séminaire au début du siècle dernier.

Blaise Drummond (né en 1967) : "The Trees of the North Woods (Haystack Mountain)" 2006

(huile, collage et encre sépia sur toile ; acquis en 2007)

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Reconstruite après un incendie, elle abrita de nouveau un hôpital militaire pendant la Première Guerre mondiale, puis des salles de cours professionnels et une caserne allemande avant d'être investie par les résistants FFI, et enfin transformée en lycée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et ce jusqu'en 1961. Lorsqu'elle est affectée au musée en 1963, elle est en mauvais état. L'architecte Maurice Durand en assure la rénovation. Depuis 1968, le bâtiment est protégé au titre des Monuments historiques.

Après le départ du conservatoire de musique en octobre dernier, et avec le projet de nouvelle bibliothèque, la municipalité étudie attentivement l'hypothèse d'un redéploiement du musée sur la totalité du site de l'abbaye. Elle a validé en juin 2011 un nouveau Projet scientifique et culturel (PSC) autour d'une mise en valeur des collections et d'une prise en compte plus fine des publics. Une évolution bienvenue pour le musée aujourd'hui à l'étroit dans ses murs. Aucune étude de programmation n'a pour l'heure été engagée. En revanche, les travaux concernant la "croisée culturelle" qui aura vocation à être à la fois un lieu d'accueil, de vie et de découverte culturelle, devraient démarrer cette année (pose d'une verrière, restauration des sols et plafonds du déambulatoire du cloître et ravalement des façades intérieures...). Un bon début.

 

Texte : Séverine Le Bourhis

* Elles comptent aujourd'hui environ 8 000 œuvres et documents, art moderne et contemporain, et département Marine confondus.

 

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